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Quand ce n’est pas l’ouvrier qui déraille, mais l’organisation…

Du savon sur les vitres, du liquide vaisselle sur les portes d’avion : quand ce n’est pas l’ouvrier qui déraille, mais l’organisation

Article de Grégory Charpentier
Directeur de QALIA PERFORMANCE

Dans l’émission Qui a tué l’industrie française ? diffusée sur France 5, un ancien salarié de l’industrie automobile raconte une scène aussi banale que révélatrice : sur une ligne de montage, les ouvriers peinent à installer un lécheur de vitre, une pièce qui devrait pourtant s’ajuster sans effort. Faute d’outils adaptés, de temps ou d’écoute, ils finissent par utiliser une massette. D’autres vont jusqu’à chercher du savon dans les toilettes pour faire glisser la pièce plus facilement. Le procédé semble baroque. Mais il n’est pas absurde. Il est, au contraire, le symptôme d’un mal plus profond : des hommes et des femmes qui tentent de bien faire leur travail dans un système qui, paradoxalement, les en empêche.

Ce que cette séquence met au jour, c’est le quotidien d’une industrie française soumise aux logiques du lean management, où l’on demande toujours plus avec toujours moins. Moins de marge d’erreur, moins de moyens, moins de voix pour ceux qui font. Dans ces conditions, penser que l’usage de savon est un signe d’incompétence ou de désinvolture serait une erreur. Pire encore : ce serait nier la rationalité concrète de celles et ceux qui bricolent, chaque jour, des solutions pour que le travail tienne, malgré tout.

Et voilà qu’au même moment, à des milliers de kilomètres, dans un tout autre secteur industriel, la même logique produit les mêmes effets. Un audit de la Federal Aviation Administration (FAA) révèle que chez Boeing, des mécaniciens ont utilisé du liquide vaisselle pour monter une porte de 737 Max. Une carte d’hôtel sert d’outil de contrôle. Là encore, les images font scandale. Mais s’arrêter là, c’est manquer l’essentiel. Car le vrai problème n’est pas tant ce que font les ouvriers, que ce qui les oblige à faire ainsi.

Derrière le buzz médiatique se cache un mécanisme bien connu des sociologues des organisations : ce que Herbert Simon a appelé la rationalité limitée. Ce concept ne désigne pas une irrationalité ou une déviance de l’individu, mais au contraire son effort de trouver des solutions localement adaptées, avec les moyens dont il dispose, dans un environnement souvent rigide, prescriptif, sourd à la réalité du terrain. Ce n’est pas l’ouvrier qui dysfonctionne. C’est l’organisation qui ne le comprend pas.

Loin de la caricature du salarié négligent ou du sabotage délibéré, on découvre, dans ces deux cas, un ouvrier qui veut bien faire, mais qu’on empêche. Car les méthodes, les standards, les indicateurs sont pensés hors sol. Ils ne prennent pas en compte les situations réelles, les imprévus, les ajustements quotidiens. On leur demande d’atteindre les objectifs sans leur donner les moyens. Pire, on les empêche de parler des causes : “Pourquoi cette pièce ne se monte-t-elle pas correctement ?” devient une question interdite. Il faut faire, peu importe comment.

C’est cela, le vrai scandale. Non pas le liquide vaisselle ou le savon. Mais le fait que ces expédients soient les dernières ressources disponibles dans des systèmes productifs qui prétendent à l’excellence mais refusent de voir la réalité du travail. À force de pressions sur les coûts, de suppressions de postes, de rationalisation excessive, on finit par rendre le travail impossible. Et l’on s’étonne ensuite que les erreurs s’accumulent, que les catastrophes adviennent.

Il est temps d’inverser la perspective. Ne plus voir dans ces gestes d’appoint une déviance, mais un indice précieux du fonctionnement dégradé des organisations. Ne plus blâmer ceux qui agissent, mais interroger les cadres qui les contraignent. Sortir de l’illusion des méthodes universelles pour investir dans la compréhension du réel. Cela implique d’écouter les opérateurs, de regarder ce qu’ils font vraiment, de comprendre pourquoi ils agissent ainsi. Et surtout, de leur rendre le pouvoir d’agir autrement.

Ce que montrent aussi bien les lécheurs de vitres français que les portes du 737 Max, c’est que le problème n’est pas l’humain. C’est la manière dont on conçoit son travail sans lui.

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